jeudi 19 mai 2011

Oublions le futur

Quand la situation sur le Front se stabilise, l'Histoire nous apprend que les troupes de chacun des camps commencent à nouer des relations. En effet, ceux d'entre nous qui ont eu l'occasion de visiter les sites mémoriels des tranchées de 14-18 ont pu voir comme celles-ci pouvaient être proches les unes des autres. Ceci a conduit à des actes symboliques forts, comme ceux illustrés dans le magnifique Joyeux Noël. On trouve encore aujourd'hui l'écho de ces rencontres footballistiques entre camps ennemis, comme pas plus tard qu'il y a deux jours entre un contingent limbourgeois et un liégeois.

Malheureusement, cette proximité menait aussi certains protagonistes à meubler ce temps gaspillé à s'abreuver mutuellement d'insultes. Il en reste aussi quelque chose de nos jours. Pas plus tard que dimanche dernier, un politicien majeur de notre pays a dit deux choses étonnantes:

  • "À un certain moment on doit être adulte et prêt à discuter [de l'amnistie]."
  • "Et peut-être aussi à oublier, parce que c'est du passé."

Ceci veut dire que les générations qui nous ont précédés, et particulièrement ceux qui ont longuement traité de la collaboration avec l'ennemi devant nos Tribunaux, étaient infantiles. Alors, que le sieur De Clerck parle de ses aïeux, d'accord, mais je ne le laisserai pas traîner les miens dans la boue sans réagir. Dont acte.

Ensuite, notre ci-devant Ministre de la Justice nous invite à oublier "parce que c'est du passé". Je dois lui reconnaître que, jusqu'ici, pour des raisons qui tiennent aux lois connues de la physique, il ne nous est possible d'oublier que le passé. Le même exercice appliqué au présent et surtout au futur est difficile.

Que disais-je? Ah, oui. Oublier. Il est vrai que le sieur De Clerck est un expert en la matière puisque dès le lendemain, il ne se souvenait déjà plus des insanités proférées la veille. Tout au plus a-t-il regretté que nous l'ayons "mal compris".  Ah bon?  À l'école (laïque), on nous apprenait à ne pas insulter une deuxième fois ceux auprès de qui on s'excusait.  Que c'est loin tout ça. À oublier.

Et comme ça ne suffisait pas à nous distraire, voilà qu'un autre politicien, de nettement moins grande envergure il est vrai, en rajoute une autre couche; dixit Ben Weyts hier au Parlement:

  • "Il y a plus abject que la proposition de loi sur l'amnistie, il y a la proposition de loi sur l'élargissement de Bruxelles."

Quelqu'un dans la salle pourrait-il rappeler à ce quidam le sens du mot "abject"? Je ne suis pas du genre à croire que l'on écrit l'Histoire dans des assemblées parlementaires, mais, entre l'expansion naturelle d'une ville au cours des siècles, et des actes de collaboration individuelle avec un occupant, fût-ce au nom d'un "idéal" (que j'aimerais bien qu'on m'explique au passage), je ne vois pas comment on peut établir la moindre comparaison.

Si l'on poursuit dans cette voie, je m'attelle dès aujourd'hui à oublier le futur.